Enfantines rédigées par les élèves de
l'école primaire de Saint-Martin-de-Queyrières (1937)
Saute-Rocher
Le petit chamois de la montagne
(1)
_______________
Je
suis Saute-Rocher, le petit chamois de la montagne. Je naquis au Grand-bal
(barre de gazon entre 2 précipices), un jour de fin avril.
À peine né, ma mère me lécha les yeux et je me mis
tout de suite sur mes jambes.
Je vis de grandes montagnes couvertes de
neige, le fond du vallon qui se dégageait par grandes plaques sombres de son
tapis blanc. L'eau ruisselait sur toutes les pentes. Plus bas, les mélèzes se
couvraient de fines aiguilles et les prés étaient d'un vert tout neuf. La neige
des sommets étincelait. Mais la nuit arriva très vite, un vent frais
souffla. Je frissonnai et poussai de petits bêlements plaintifs que ma mère
comprit. Elle se coucha à l'abri d'un grand rocher, je me blottis contre elle et
m'endormis.
Je me réveillai dans la nuit, la montagne
était toute sombre, d'innombrables étoiles scintillaient dans le ciel obscur. Un
vent froid agitait les branches nues des mélèzes et hurlait dans le vallon.
J'eus peur, mais ma mère me rassura en me léchant tendrement. J'avais faim, je
tétai un peu du bon lait, et je m'endormis jusqu'au matin.
Quand je me réveillai, les cimes des
montagnes, blanches comme de l'argent, se découpaient dans le ciel bleu. Une
lueur descendait vers la vallée. Ma mère me dit : « c'est le soleil ». Alors je
vis apparaître derrière le pic de Pierre-Eyraut, des rayons aveuglants ; puis
une boule de feu qui argentait la neige m'inonda de lumière ; une douce chaleur
me réchauffa.
Le vallon devint clair et joyeux. La
bergeronnette, la première arrivée, sautillait en baissant et relevant la queue.
Au bord du torrent, les grives chantaient sur les plus hautes branches. Une
marmotte efflanquée après son long jeûne, siffla droite sur ses pattes de
derrière.
Je me mis à sauter et à gambader, auprès
de ma mère qui broutait de fines herbes. Au moindre bruit, elle frappait du pied
pour m'appeler, et la tête haute, les oreilles droites, elle demeurait un moment
immobile.
_______________
Note :
Ces textes ont été publiés dans le
cadre de l'expression libre à l'école prônée par la
pédagogie de Célestin Freinet. Son épouse, Élise
Lagier, était originaire de Vallouise. Il y fut assigné à
résidence à l'automne 1941 et prit une part active au maquis de Béassac,
en Vallouise. Ces Enfantines et d'autres publiées dans son imprimerie
de Vence montrent que l'école de Saint-Martin suivait
alors sa technique.