Avalanches
Petit retour en arrière
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Tout le monde en Vallouise a durement ressenti les
avalanches survenues dans la seconde quinzaine de janvier dans la Combe de
Narreyroux. L'avalanche qui a tué six autres skieurs expérimentés bien connus
dans la région quelques jours plus tard a encore alourdi l'ambiance. Ajouter à
cela les chutes de neige poudreuse des 29 et 30 janvier qui ont fait monter le
facteur de risque d'avalanche à 4 sur 5 et la multiplication des appels à la
prudence, tout le monde s'est senti concerné. C'est l'occasion de revenir sur le
lancement d'une saison particulière où le manque de neige a paradoxalement
aggravé la situation.
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Pourtant tout avait bien commencé, avec des chutes de neige
importantes en altitude dès le mois de novembre (1),
grâce à un retour d'est qui a bien arrosé toutes les régions
frontalières depuis la haute Maurienne au Mercantour en passant par
le Briançonnais..S’en est suivie une période sèche en décembre, dans
l’ensemble assez douce, avec une isotherme 0 °C dépassant 3000 m en
journée à plusieurs reprises. À part les chutes de neige
ultralégères de fin décembre (30 à 50 cm mais avec une densité de
0,05, le 27 décembre 2014), les précipitations l’ont été sous forme
de pluie jusqu’à 2500/2700 m (dans la nuit du samedi 3 au dimanche 4
janvier).
La première quinzaine de janvier a à nouveau été très douce en
altitude et sèche. Elle a été marquée par la bise brune, un
vent violent et chaud de nord-ouest (du vendredi 9 au lundi 12),
avec de fréquentes pointes dépassant 100 km/h, et par la douceur des
températures avec une isotherme 0 °C à nouveau vers 3000 m ou plus.
Le plus chaud a été atteint le samedi 10, lors d'un puissant effet
de fœhn sur les massifs bordant la Savoie et l'Isère. Les limites
d'enneigement sont sensiblement remontées et le manteau neigeux a
subi une humidification dans de nombreuses orientations. En
altitude, le manteau neigeux a été fortement travaillé par le vent.
Une perturbation active a traversé la région durant la
journée du vendredi 16 et la nuit suivante. Elle a donné
des précipitations importantes, d'abord sous forme de
pluie jusqu'à 2500 m puis 1800 m. Ces fortes
précipitations se sont accompagnées d'un vent tempétueux
de secteur sud, de 80 à 110 km/h à 3000 m, qui a formé
de nombreuses et grosses accumulations et plaques à vent
en altitude. Au total, il est tombé 10 à 30 cm à 1800 m
et 40 à 70 cm au-dessus de 2000/2200 m, mais de densité
proche de 0,1. Ensuite, du samedi 17 au mercredi 28,
c'est un temps froid qui a prédominé avec une isotherme
0 °C qui fluctue entre 1000 et 1500 m, faiblement
neigeux en début de période, puis sec avec un fort vent
de nord à nord-est du vendredi 23 au lundi 26.
Une nouvelle perturbation active a traversé la région
dans un régime de nord-nord-ouest. Elle s'est
accompagnée de chutes de neige modérées à toutes
altitudes durant toute la journée du jeudi 29 et la nuit
du jeudi au vendredi, qui se sont poursuivies par
intermittence les jours suivants. De 40 à 60 cm de neige
légère et froide sont tombés du fond de vallée aux
hauteurs.
Deux avalanches critiques se sont produites le dimanche 18 et le
mercredi 21 aux deux extrémités de la Crête de la Pendine
au-dessus de la station de Puy-Saint-Vincent : la
première avalanche a enseveli deux skieurs vite dégagés par
d'autres skieurs ; la
deuxième avalanche a emporté un guide et son client qui ont
été retrouvés morts le lendemain.
Elle s'est produite dans le couloir des Faveyrettes, un autre
hors piste classique de Puy-Saint-Vincent :
localisation.
Une coupe du manteau neigeux réalisée le mardi 20 au bas de la pente
du Col de Bal vers 2100 m a indiqué que la couche de neige (120 cm) est
complètement pourrie à partir du sol sur les 4/10 de son épaisseur. On
retrouve sur cette coupe tout l'historique des trois derniers mois, de
bas en haut :
la couche inférieure correspond aux pluies et neige de novembre où
les cristaux de neige ont évolué vers le stade
gobelets qui en cas de glissement
agissent comme des roulements à billes ;
les grains fins au-dessus correspondent à la chute du 27 décembre ;
la ligne sombre correspond à la croûte de regel résultant de
l'exposition longue à la bise brune ;
au-dessus les 50 à 60 cm tombés le 16 janvier, avec d'abord une
couche de neige humide puisqu'il a commencé à pleuvoir vers 2500 m
descendant vite en neige vers 1800 m, puis une couche de neige plus
légère.
Une
coupe réalisée le dimanche 25 à 2500 m a montré une structure
analogue, avec une alternance de couches sans cohésion et de couches
cohésives.
Crédit photo Gilles Citi → |
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Les chutes et les accumulations dues au
vent de la fin du mois de janvier n'ont fait que s'ajouter à cette
structure pourrie à la base, qui pourrait bien subsister jusqu'à la
fin de la saison, et donc maintenir le danger d'avalanches à un
niveau élevé.
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Ce serait aussi l'occasion de commencer à
réfléchir aux comportements, car le danger d'avalanche est une chose,
s'y exposer en est une autre et cette exposition n'est plus d'ordre
nivologique mais est d'ordre comportemental. Dans les avalanches de ces
dernières semaines, les personnes impliquées étaient toutes des skieurs
expérimentés voire des professionnels qui n'ont pas hésité à se lancer
par risque d'avalanches Marqué (3/5) dans des secteurs pentus à
plus de 30° malgré les appels à la prudence ou à la vigilance.
Pour les pratiquants, de tels appels doivent être interprétés comme des
appels à appliquer de façon stricte les méthodes de réduction des
risques. |
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Par risque 3, par exemple, ça implique de ne pas aller dans des secteurs
avec des pentes supérieures à 30°
« sous les skis, à l'aval, à l'amont »
(2) en
orientation nord-ouest à nord-est. Il existe pour cela des outils
d’aide à la décision.
Voici par exemple, les pentes à plus de 30° dans la Combe de
Narreyroux à Puy-Saint-Vincent.
Le piège consiste à ne pas considérer le risque 3 à son niveau de
risque Marqué mais seulement de risque 'moyen', ce qu'il
n'est pas. Piège heuristique d'autant plus classique, notamment pour
les professionnels et les habitués, qu'ils sortent souvent
par risque 3 sans incident, en occultant la prise de risque.
C'est un sujet qui a été très étudié pour comprendre pourquoi
l'expérience ou le fait d'être professionnel ne diminue pas la prise
de risque.
Espérons donc une démarche d'analyse et
de modification des comportements pour que l'on n'entende plus comme
première explication que « c'est la
faute à pas de chance ».
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Vallouimages
Vallouise, 01
février 2015
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Notes :
(1)
On reste toujours perplexe quand on voit tout le monde s’exciter
devant ces neiges précoces au nom de la sacro-sainte sous-couche. Voire. En
règle générale, c’est plutôt le fiasco de la sous-couche s'il fait sec et
froid longtemps, avec formation de gobelets et une surface de glace sur les
pistes !
(2) Selon l'expression d'Alain Duclos.
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Références
:
Météo 05 et Alain
Morel que je remercie particulièrement.
Météo France : Bulletins de synthèse hebdomadaires.
Météo France : Bulletin neige et avalanche pour les Hautes-Alpes.
Trans-montagne : Site d'Alain Duclos.
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