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« Les Vaudois : 800 ans d'hérésie »

Hérésie ? Quelle hérésie ?

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Le projet culturel et historique du Pays des Écrins pour l'été 2015 porte sur les vaudois, à l'occasion du 800e anniversaire du 4e concile de Latran qui, entre autres décisions, les déclara hérétiques. Le projet comporte diverses manifestations, expositions et conférences, mais aussi le film cité en titre et en Références (juin 2015).

Celui-ci a déjà fait bondir tous ceux qui ont quelques rudiments d'histoire locale et religieuse. Qu'en est-il donc ?

Notre force est que le descriptif de chaque station a été rédigé par nos soins, loin du papier glacé des Offices de Tourisme. - See more at: http://www.e-briancon.com/content/skionscom-un-media-sur-le-ski-100-haut-alpin.html#sthash.CLBTeUpI.dpuf
otre force est que le descriptif de chaque station a été rédigé par nos soins, loin du papier glacé des Offices de Tourisme. - See more at: http://www.e-briancon.com/content/skionscom-un-media-sur-le-ski-100-haut-alpin.html#sthash.CLBTeUpI.dpuf
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800 ans des Vaudois

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On constatera que la définition du projet est quelque peu absconse sur un sujet dominé par les légendes et sensible religieusement, d'où la simplification en « Les Vaudois : 800 ans », transformée pour le film en « Les Vaudois : 800 ans d'hérésie ».

Ce titre, discuté plus loin, est fallacieux et même tendancieux car il représente en lui-même un jugement et une condamnation pour hérésie des vaudois sur huit cents ans, ce qui n'a pas lieu d'être (1). Un titre plus neutre comme « Les vaudois : 800 ans d'histoire » aurait mieux convenu à ce qui devait ou aurait dû être l'objectif initial du film (2).

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Ce film a été réalisé avec les moyens du bord, mais, loin d'être une faiblesse, c'est une démarche intéressante qui associe des intervenants locaux, que chacun aura plaisir à retrouver et qui s'en tirent plutôt bien. Saluons donc leur performance et tirons leur un grand coup de chapeau. Cela restera certainement une belle expérience pour eux. Espérons toutefois qu’ils oublieront vite les quelques énormités qu’ils ont parfois dû dire !

Car il faut bien aborder le contenu du film. On est peiné de devoir constater qu'il passe complètement à côté de l'objectif initial supposé de conter l'histoire de 800 ans de valdéisme. Mis à part l'attribution légendaire du « Barry de la Bâtie » aux vaudois, toutes les autres légendes abandonnées depuis longtemps par les historiens sont reprises dans le film ; des faits sont inventés de toutes pièces ; un élément fondamental de l'histoire des vaudois est purement et simplement oublié et les hors-sujets font perdre le fil.

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Il commence d'ailleurs par un hors-sujet de plus de cinq minutes, sur près de vingt-cinq, qui porte sur l'histoire de l'Argentière et qui n'a rien à voir avec les vaudois. Il mentionne en 1155 le nom « Castrum Argenterie » que le dauphin aurait donné au lieu, dont la première mention dans les archives remontait jusque là à 1202 (3).

Cette séquence n'explique en rien l'émergence du valdéisme dans les années 1170 à Lyon qui est introduit sans aucune mise en perspective au bout de près de cinq minutes et demie de film (4).

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Les légendes concernant les vaudois ont été nombreuses, le film n'évite pas la reprise de deux légendes les concernant.

La première porte sur l'origine du nom moyenâgeux de la Vallouise, « Vallis Puta » francisé ultérieurement en « Valpute ». Dans le film, cette dénomination est attribuée à l’archevêque d’Embrun qui, en 1184, constatant que la Vallouise était entièrement peuplée de vaudois, aurait décrété dans une déclaration solennelle que la vallée devait s’appeler « Vallis Puta » ou « Valpute ».

Manque de chance, la vallée s’appelait déjà ainsi avant le début du valdéisme (5), il n’y avait pas encore un seul vaudois en Vallouise en 1184 (6) et la déclaration de l’archevêque n’a jamais existé. Cette séquence est de l'ordre de l'invention pure et simple, d'autant plus que l'archevêque est supposé mentionner en 1184 les conséquences de la bataille de Bouvines qui eut lieu en 1214, soit trente ans plus tard.

La seconde concerne le fameux massacre des vaudois survenu en 1488 au-dessus d'Ailefroide. Il est qualifié dans le film de : « génocide, l'un des plus sanglants de l'histoire, (qui) videra les vallées de Vallouise, de l'Argentière et de Freissinières de la quasi-totalité de leurs habitants. » On est dans l'outrance puisque le nombre de morts est de moins de quatre-vingts pour les historiens (7). Par ailleurs, l'émigration provoquée par la persécution a été complètement occultée alors qu'elle porte sur quelques quatorze cents personnes venant des diocèses d'Embrun et de Turin, soit un tout autre ordre de grandeur (8).

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Encore plus grave, mais il s'agit cette fois d'une omission : il n'est fait aucune mention de la réhabilitation des habitants en 1509 et de l'instruction qui l'a précédée. La sentence, prononcée par le Grand conseil du roi de France, cassait, annulait et infirmait toutes les sentences prononcées à l'époque des persécutions ; réhabilitait les habitants des vallées de l'Argentière, Freissinières et Vallouise,  et du Val Cluson ; les autorisait à recouvrer leurs biens et allait même jusqu'à les disculper du délit d'hérésie (9,10). Compte tenu de l'importance historique de cette réhabilitation, plusieurs séquences auraient pu et auraient dû être tournées sur le procès, sur le rendu de la sentence et sur ses suites. De quoi aussi modifier le titre du film, d'autant plus que les vaudois se sont ensuite fondus dans le protestantisme.

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Bien qu'il n'ait strictement rien à voir avec les vaudois, le film présente enfin une séquence sur Félix Neff. C'est un autre hors-sujet qui reprend son hagiographie traditionnelle, avec, bien sûr, la première école normale d'instituteurs de France, alors que la première école normale remonte à 1794 à Strasbourg, puis à nouveau en 1810 et qu'il y avait treize écoles normales en France en 1829 (11). Encore une légende qui a la vie dure...

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Le film se termine en juin 2015 avec la demande de pardon du pape François aux vaudois. C'est bienvenu de conclure sur cet événement, réédité par l'évêque de Gap et d'Embrun dans l'église de Vallouise le 19 juillet 2015. Au-delà du geste officiel, que ce soit avec les hussites le 15 juin à Rome ou avec les vaudois le 22 juin à Turin et le 19 juillet à Vallouise, c'est la volonté de dialogue et de rassemblement qui prévaut. On n'est plus depuis plus de deux cents ans dans une logique de condamnation d'une hérésie et des hérétiques. Il est donc regrettable de laisser entendre dans le titre que l'hérésie se poursuit et que les vaudois sont toujours des hérétiques alors que l'Église ne le dit plus depuis longtemps (12). L’Église évangélique vaudoise a rejoint la communauté protestante et fait aujourd’hui partie de l’Alliance réformée mondiale (13). Elle doit être considérée comme une religion et non plus comme une hérésie : « il ne s'agit plus de vaudois mais de protestants. (14) ». En 2017, oserait-on mettre le titre : « Les protestants : 500 ans d'hérésie » (15) ?

Pour être complet sur le sujet, il faut mentionner que le Synode de l’Église évangélique vaudoise a répondu à la demande de pardon du pape, dans une lettre, mardi 25 août, ne pas pouvoir se « substituer à ceux qui ont payé de leur sang et avec d’autres souffrances leur témoignage à la foi évangélique » et « ne pouvoir pardonner à leur place » (16).

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On constate donc que ce qui domine dans le film est une vision fausse du valdéisme, encore au stade de l'hérésie, qui s'appuie sur des faits erronés, inventés ou légendaires. L'omission de la sentence de 1509 a fait oublier que les habitants de nos vallées ont été réhabilités et disculpés du délit d'hérésie (10).

Par ailleurs, qu'il s'agisse de l'origine vaudoise de « Vallis Puta », du massacre d'Ailefroide, ou dans un autre registre de la première école normale de France, il conviendrait maintenant de dire : ça suffit. Comme cela a déjà été fait pour le « Mur des vaudois », il faut arrêter de colporter ces âneries. La crédibilité d'un projet culturel dans le Pays des Écrins est à ce prix.

 

En guise de conclusion, on peut reprendre la réflexion tirée des Tables rondes consacrées au tourisme durant l'automne 2012 et qui avaient fait ressortir l'importance de la dimension patrimoniale dans le tourisme local (17) :

« Le pays a été très marqué par son histoire religieuse. Les vaudois ont suscité bien des controverses et des légendes. Leur histoire fait partie du patrimoine et ils intéressent beaucoup. On ne peut pas en parler sans s'appuyer sur les données de l'histoire et on ne peut pas en parler en occultant le message religieux transmis et sa survivance locale. »

Et encore :

« Le patrimoine ne peut pas être abordé sans une rigoureuse approche scientifique impliquant notamment l'histoire, l'archéologie et l'anthropologie, voire la géologie (mines, carrières, ardoisières), la glaciologie (blocs, roches moutonnées), la linguistique (langue vernaculaire) ou la toponymie (noms de lieux). »

« Une mise en valeur du patrimoine ou un projet culturel ne peuvent donc se réduire à une opération de communication superficielle qui se limiterait à sa folkorisation et à son adaptation simpliste aux touristes mais représente au contraire un travail en profondeur conséquent pour permettre aux dits-touristes de comprendre les problématiques des lieux visités. Ils ne pourront que s’y attacher. »

 

La réalisation d’un film sur les vaudois conforme à la réalité historique n'aurait pas été plus compliquée mais aurait été bien plus enrichissante pour tous. C'était très facile à réaliser, il suffisait de faire relire le script...

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Vallouimages

Première version, 27 juillet 2015 - Mise à jour, 31 août 2015.

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Notes :

(1) Ce jugement et cette condamnation sont en particulier en complète contradiction avec la demande de pardon du pape François. Voir aussi la note (12) ci-après.

(2) Gabriel Audisio a utilisé pour sa part un titre plus approprié « Les vaudois : histoire d'une dissidence, XIIe-XVIe siècle ».

(3) Une mention plus ancienne que 1202 est plausible mais les noms de lieux ne se forment pas de cette façon et pour que l'année 1155 soit enregistrée par la toponymie comme première mention de ce nom, il conviendrait d'en référencer la source.

(4) L'émergence du valdéisme à Lyon tient beaucoup au contexte global et au contexte local. Rubellin, 2003.

(5) Clouzot, 1923 ; Cézard, 1981.

(6) Marx, 1914 ; Paravy, 1993 ; Audisio, 2003.

(7) De soixante à quatre-vingts. Paravy, 1993 et Desvignes-Mallet, 2015.

(8) Audisio, 2003.

(9) « Non invenimus eos hereticos, nec a fide pertinaciter devios », « nous ne les avons pas vus hérétiques, ni s'écartant avec entêtement de la foi  ». Marx, 1914. La « pertinacité de la déviance de la foi » est le complément indispensable d'une hérésie. Ces deux morceaux de phrases se renforcent mutuellement pour exprimer avec force l'absence d'hérésie et de ses caractéristiques lors de l'instruction du procès de 1509.

(10) Le valdéisme s'est toutefois maintenu en Briançonnais jusqu'à la Réforme et il est vraisemblable que la masse des gens poursuivis se composait de vaudois authentiques. Marx, 1914.

(11) Wikipedia.

(12) Dans la citation du pape, prononcée à la première personne,  mais mise à la troisième personne pour en faciliter la compréhension : « [...] les comportements que les chrétiens ont eu à l'encontre des vaudois », il conviendrait de remplacer chrétiens par catholiques.

(13) L'adhésion à la Réforme protestante marque la fin du valdéisme médiéval : « celle-ci a entraîné l'abandon par les vaudois de leurs caractéristiques religieuses médiévales : dès lors réformés, ils cessèrent de fréquenter l'église paroissiale romaine, refusèrent les compromis qu'ils avaient admis jusque-là, se dotèrent de temples et de pasteurs qui, à l'inverse des barbes, récusèrent célibat et ministère itinérant. » Audisio, 2000.

C'est alors une autre histoire qui commence : « Les vaudois de Provence et du Dauphiné constituèrent la base solide de la Réforme dans ces provinces, créant des paroisses protestantes de type calviniste, c'est-à-dire synodopresbytéral. Il semble à peu près impossible à l'historien de déceler une originalité religieuse quelconque des anciens vaudois par rapport à leurs coreligionnaires. Leur caractéristique propre est d'ordre non pas religieux mais socioprofessionnel ; contrairement aux autres, ils étaient et demeurèrent paysans. Mais un trait particulier se manifesta relativement tôt : les anciens vaudois piémontais devenus protestants continuèrent à être appelés « vaudois », comme par le passé. Et c'est bien après le XVIe siècle que la revendication du passé vaudois apparut clairement dans l'appellation officielle de Chiesa valdese. Rien de tel en France où le nom de vaudois se perdit. » Audisio, 2000.

(14) Audisio, 2000.

(15) Une hérésie résulte d'une condamnation par l'Église catholique. Il n'y a plus guère aujourd'hui que des groupuscules intégristes qui parlent encore d'hérésie.

(16) L'Église vaudoise rejette le pardon demandé par le pape, La Croix, 25 août 2015.

C'est une position qui peut se comprendre dans la mesure où l’Église évangélique vaudoise n'a rien à voir avec le valdéisme médiéval.

(17) Vallouimages, Tourisme et patrimoine, 19 novembre 2012. Ce document a été largement diffusé soit sur internet soit en fichier pdf en direction des élus.

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Références :

G. Audisio, Des Pauvres de Lyon aux vaudois réformés in « Revue de l'histoire des religions », tome 217 n°1, 2000. Les vaudois. pp. 155-166.

G. Audisio, Les vaudois : histoire d'une dissidence, XIIe-XVIe siècle, Fayard, 2003.

E. Cameron, The waldenses, Rejections of Holy Church in Medieval Europe, Wiley, 2001.

M. Cézard, La Vallouise à travers l'histoire, Société d'Études des Hautes-Alpes, Gap, 1981.

É. Clouzot, Pouillés des provinces d'Aix, d'Arles et d'Embrun, Paris, Imprimerie nationale, 1923.

C. Desvignes-Mallet, L'église Saint-Étienne de Vallouise à travers les âges, Éditions du Fournel, 2015.

J. Giraud, Les Vaudois : 800 ans d'hérésie, Commune de l'Argentière-la-Bessée, 2015.

J. Marx, L'inquisition en Dauphiné..., Paris, H. Champion, 1914.

P. Paravy, De la chrétienté romaine à la Réforme en Dauphiné, Rome, École française de Rome, 1993, 2 vol.

M. Rubellin, Église et société chrétienne d'Agobard à Valdès, Presses universitaires de Lyon, 2003.

G. Tourn, Les vaudois : l'étonnante aventure d'un peuple-église, Claudiana, 3e édition, 1999.

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Articles connexes :

Vallouimages, « Les Vaudois : 800 ans d'hérésie », 20 juillet 2015.

Vallouimages, Vallis Puta : les vaudois n'y sont pour rien !, 24 juillet 2015.

Vallouimages, « Les Vaudois : 800 ans d'hérésie » : Hérésie ? Quelle hérésie ?, 27 juillet 2015.

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Liens connexes :

Une visite et un pardon historique, La Croix, 22 juin 2015.

L'Église vaudoise rejette le pardon demandé par le pape, La Croix, 25 août 2015.

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